Ayant eu le plaisir d'admirer à Bâle une fantastique table de salle à manger de Georges JOUVE sur le stand de la galerie Jacques LACOSTE (ci-dessus), j'ai eu envie d'en savoir plus sur ce type d'objet plutôt exceptionnel.
Une rapide recherche sur le Net m'a permis d'apprendre qu'il n'existerait que quatre tables de ce type, toutes des "commandes spéciales" et de ce fait différentes :
- L'exemplaire vu à Bâle, dont le piètement particulièrement réussi est de Janette LAVERRIERE et qui date de 1950 (ex collection ALAN).
- Un exemplaire réalisé pour son ami l'architecte André LEFÈVRE, vers 1960 :
Il a été vendu par Christie's l'an dernier.
Voici ce qu'en disait le célèbre auctioneer :
Plateau en céramique émaillée noire reposant sur un piétement quadripode tubulaire en métal laqué noir relié par une entretoise en double Y.
Dimensions : hauteur : 70 cm, longueur : 194,5 cm, largeur : 114 cm.
Provenance : collection de l'architecte André Lefèvre, villa Le Pin Blanc, Le Lavandou. Acquise directement auprès de celui-ci par les propriétaires actuels en 1988.
Céramiste emblématique des années 50, Georges Jouve met au point dans les années 40 un émail noir de cuivre à l'aspect satiné qui sera sa couleur de prédilection. Durant toute sa carrière il n'a de cesse de vouloir créer des espaces de liberté, des formes affranchies, de rompre la symétrie prévisible du tour. Autant de préoccupations majeures que l'on retrouve comme un manifeste dans cette table.
Durant l'été 44, Georges Jouve et sa famille s'installent grâce à leur ami, le peintre-décorateur Jean-Denis Malclès, au 83, rue de la Tombe-Issoire, et deviennent alors voisins de l'architecte André Lefèvre (1921-2010). De cette rencontre va naître une longue amitié. André Lefèvre habitera sept ans à Paris, et recevra en cadeaux de nombreuses céramiques au fil du temps.
Au début des années 50, André Lefèvre part dans le Sud où il dessinera le paysage de la Côte Varoise. Il achète un terrain au Lavandou pour y construire en 1957 sa villa Le Pin Blanc. Il vendra une partie du terrain attenant au beau-frère de Jouve, André Larivière, également architecte, pour qu'il y construise sa propre maison.
En 1954, Georges Jouve s'installera lui aussi dans le Sud à Aix-en-Provence. Il rend alors visite tous les 15 jours à son beau-frère et à son ami André Lefèvre. C'est en découvrant la villa de ce dernier, qu'il lui propose de réaliser une table de salle à manger au plateau en céramique - réalisation qui symbolise les liens forts unissant l'architecte et le céramiste.
Seuls trois modèles de table de salle à manger au plateau en céramique sont connus à ce jour. Celui que nous présentons ici est le plus proche du modèle au plateau en bois et piétement métallique que Georges Jouve réalisera pour son usage personnel.
La villa Le Pin Blanc illustre la volonté d'André Lefèvre de fondre l'architecture au milieu environnant. Enracinée dans la pente, accrochée à la falaise, orientée plein Sud, elle s'ouvre sur la nature environnante offrant un point de vue panoramique sur la Méditerranée. L'architecte réalisera son oeuvre majeure en 1958, dessinant sur un domaine de 135 hectares, en collaboration avec l'architecte Jean Aubert (1924-2004), au Gaou Bénat, Cap naturel de la Côte d'Azur, des routes, un village, six hameaux et sept cents maisons quasiment invisibles. Soucieux du développement durable avant l'heure, il appliquera encore ses principes à deux autres projets plus modestes : La Lézardière, située au Lavandou et Le domaine de Pardigon, à la Croix Valmer. Sa démarche architecturale sera célébrée lors de l'exposition "André Lefèvre et Jean Aubert - Architecture de la disparition" à la Villa Noailles du 22 février au 5 avril 2009.
Littérature : M.-A Febvre-Desportes, Loin des villes, au grand air, l'année sous le soleil du midi, dans La Maison Française, décembre 1960-janvier 1961, n. 143, Compagnie Française d'Éditions, Paris, 1960, p. 138, 140 et 142 pour des vues de la table dans la villa d'André Lefèvre, Le Lavandou.
Estimée 200 à 300.000 €, elle a atteint la très coquette somme de 277.000 €.
La première, plus réussie à mon goût, s'est négociée à un prix très largement supérieur, en faisant la céramique 50 la plus chère (1) du monde !
- Un troisième exemplaire réalisé pour l'acteur FERNANDEL vers 1953-54, dont le piètement est en bronze.
- Et enfin l'exemplaire personnel de l'artiste, à priori avec un piètement de Janette LAVERRIERE et conçu à peu près à la même époque que le premier.
Pas de photo pour ces deux dernières tables, hélas :-(.
Villa "Le Pin Blanc" |
Une villa type Le Pin Blanc en Polynésie, un intérieur ad hoc et une table de JOUVE sur la terrasse pour prendre l'apéro au coucher du soleil : ma "commande spéciale" à l'autre, là-haut, via par exemple la prochaine (grosse) cagnotte de l'Euro millions ;-).
(1) Peut-être pas... On confond en effet bien trop souvent les notions de cherté et de prix élevé : un objet dont le prix est élevé peut ne pas être cher et inversement un objet à prix bas l'être. Qu'est ce qui est le plus cher : une baguette à 1,10 € (nouveau prix à Monaco) ou un superbe JOUVE à 500 € ? Le prix de notre table est particulièrement élevé mais tout compte fait elle n'est pas si chère que ça, notamment si on compare son prix à celui d'autres objets d'art plus "bling". Un peu compliqué mon discours ? Peut-être ; c'est la fin de la semaine...