Anna Eva BERGMAN (1907-1987)
"N° 1-1961" (1961) Tempera et feuille de métal sur panneau 32,5 x 40,5 cm |
Très intéressante exposition en ce moment à la galerie ARTEMPER (1), où vous pourrez notamment admirer des oeuvres de Roberta GONZALEZ et Anna Eva BERGMAN, deux artistes dont j'apprécie et connais très bien l'oeuvre car elles partagèrent la vie de mon peintre favori : Hans HARTUNG.
Je laisse la parole aux galeristes organisateurs, Pierre-François et François ALBERT, qui en parlent bien mieux que moi.
C'est un peu long mais leur propos est très instructif :
L’exposition "Venues d’ailleurs (1945-1970)", organisée par la galerie Artemper, présente les œuvres de 18 femmes artistes étrangères de la Seconde École de Paris. Ce n’est que justice de rendre hommage à ces femmes qui ont fait partie de l’histoire de l’art de l’après-guerre, histoire qui n’a pas donné à la plupart d’entre elles la place qu’elles méritaient, car à cette époque, les femmes occupaient une place secondaire dans la vie sociale et en particulier artistique. Il fallait alors à une femme, plus de qualités pour acquérir la reconnaissance et la notoriété : plus de talent, de pugnacité, de courage, de chance, de relations, d’appuis... Rares sont celles qui sont devenues aussi célèbres que la portugaise Maria Helena Vieira da Silva ou l’américaine Joan Mitchell.
Peintres pour la plupart, mais aussi sculpteurs, ces femmes sont arrivées à Paris avant et après la seconde guerre mondiale en provenance d’Europe pour la majorité, mais aussi d’Amérique, principalement des États-Unis. Beaucoup ont quitté leur pays pour des raisons politiques fuyant le nazisme en Allemagne ou le communisme en Europe de l’Est. D’autres sont venues pour étudier ou pour retrouver à Montparnasse l’esprit des artistes célèbres de l’entre-deux-guerres, Pablo Picasso, Fernand Léger, Constantin Brancusi, Joan Miró et les Surréalistes... La capitale française est au sortir de la seconde guerre mondiale un lieu de cré ation intellectuelle et artistique en perpétuel mouvement. Comme le dit si bien Hella Guth (1908-1992) qui a quitté la Bohème en 1939 après l’invasion allemande : "au début des années 50, tout peintre avait besoin de vivre à Paris".
Toutes ces femmes se sont croisées, se sont connues et pour certaines, ont tissé des relations d’amitié forte, probablement par solidarité étant toutes des étrangères en France, mais aussi en réaction face à la prépondérance écrasante des hommes. Le monde parisien des arts est concentré : "A cette époque, il suffisait d’aller à certaines heures au Dôme, à la Rotonde, à la Closerie des Lilas ou aux Deux Magots pour se trouver parmi des gens intéressants" confiait l’artiste britannique Stanley William Hayter. Ces artistes avaient leurs ateliers à Montparnasse et dans les quartiers environnants.
Parmi les nombreuses femmes venues de l’Est, citons Ida Karskaya (1905-1990), russe de naissance. Son œuvre marquée par le travail de la matière et le collage exprime tant de liberté, de poésie et d’innovation qu’elle demeure inclassable entre les "Lettres Sans Réponse", les "Gris Quotidiens" ou encore "Les Invités de Minuit".
Impossible aussi de ne pas évoquer la peintre géorgienne Véra Pagava (1907-1988) qui a représenté la France à la biennale de Venise de 1966 où une salle est consacrée à ses œuvres, notamment ses lumineux et troublants "Paysages". Cette paysagiste abstraite qui a participé en 1937 et 1938 aux expositions parisiennes du Groupe Témoignage animé par Marcel Michaud était liée au groupe des peintres non-figuratifs dont Alfred Manessier, Gustave Singier, Jean Le Moal...
Ce même groupe des "Non-Figuratifs" comptait parmi ses membres, Elvire Jan (1904-1996) d’origine bulgare. Sa création prenait sa source dans une lumière impressionniste et abstraite. A partir de 1960, elle réalise de nombreuses aquarelles. "Une aquarelle d'Elvire, c'est, sous nos yeux, le monde en formation, nous sommes spectateurs de la Genèse" selon Jean Bazaine qui disait d’Elvire Jan qu’elle était la meilleure d’entre eux
Elvire Jan n’a pas obtenu la même reconnaissance internationale que sa grande amie Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992), l’une des chefs de file du paysagisme abstrait, elle aussi, proche du groupe des "Non-Figuratifs". Grand Prix de la biennale de Sao Paulo en 1965, elle fut la première femme à recevoir le Grand Prix National des Arts du Gouvernement français en 1966. Son œuvre au croisement du cubisme et de l’abstraction reflète bien l’esprit de la Non-Figuration dans ses villes, ses labyrinthes ou ses rayonnages de bibliothèque.
Une autre amie de Vieira da Silva et qui a exposé comme elle à la galerie Jeanne Bucher, Christine Boumeester (1904-1971) fréquente Hans Hartung dès son arrivéeà Paris et à son contact se tourne vers l’abstraction. Très proche de Francis Picabia, elle initie Nicolas de Staël à la peinture abstraite. Alain Resnais lui consacre un court-métrage en 1946 et Gaston Bachelard s’intéresse à ses paysages traduits non plus dans leurs apparences, mais au moyen d'une approche sensible.
Roberta GONZALEZ (1909-1976)
Sans titre (1961) Huile sur toile 34 x 24 cm |
Christine Boumeester et son mari Henri Goetz fréquentaient le sculpteur espagnol Julio González. Sa fille Roberta González (1909-1976) fut la seconde femme de Hans Hartung. Roberta, influencée à la fois par son père et son mari, évolua entre les références à la réalité et les possibilités d’expression offertes par l’abstraction. Elle développa ainsi une œuvre personnelle dominée par des soleils flamboyants, des visages muets et sa passion pour les oiseaux, oeuvre malheureusement éclipsée par celle de ces deux immenses artistes que furent son père et son mari. Elle consacra beaucoup plus de temps à la reconnaissance de son père Julio et de son oncle Joan qu’à sa propre peinture.
Anna Eva Bergman (1907-1987) fut la première femme de Hans Hartung : ils se marièrent en 1929, ont divorcé en 1938, se sont retrouvés en 1952 et se sont remariés en 1957 après que Hans Hartung aura divorcé de Roberta et Anna Eva de son mari norvégien.
Anna Eva BERGMAN (1907-1987)
"N° 64-1968 - Terre, mer et ciel" (1968) Vinylique et feuille de métal sur toile 54 x 73 cm |
Après son divorce d’avec Hans Hartung, Anna Eva est retournée en Norvège, son pays natal. Elle a connu des problèmes de santé et a très peu peint, se consacrant à l’illustration et au dessin. Elle adopte après la seconde guerre mondiale, un style abstrait dépouillé où se mêlent les tonalités sombres et le métal, or ou argent. Lydia Harambourg décrit parfaitement sa spécificité artistique liée à ses origines scandinaves : "Elle réalise une œuvre où les espaces imaginaires, glacés, visions d’icebergs et de fjords sont transcrits à partir de volumes aux arêtes découpées, avec une palette sombre ou claire, dont elle broie les couleurs, les oxydes (...). Une peinture pure, décantée dont le minimalisme invite à la méditation". Anna Eva Bergman a construit une œuvre abstraite, d’abord seule en Norvège, puis aux côtés de Hans Hartung. Ils formaient un véritable couple d’artistes se respectant mutuellement et ont réalisé chacun une œuvre forte, originale et indépendante. Par contre, il y a une grande différence quant à la façon dont leurs œuvres ont été reçues et appréciées par les historiens, les critiques d’art et les institutionnels de l’époque. Anna Eva a pâti d’être la femme d’un artiste de grande notoriété et cela a empêché la juste reconnaissance de son travail.
Difficile aussi de ne pas évoquer Janice Biala (1903-2000). D’origine polonaise, après un long séjour à Paris, elle part pour Etats-Unis où elle obtient la nationalité américaine. Parallèlement, son œuvre représente une assimilation réussie entre la Seconde École de Paris et l’Abstraction Expressionniste américaine qui a pris le relais à la fin des années 1950. Elle est aussi l’une des rares femmes de la New York School, comme quoi le "machisme" n’est pas un mal uniquement parisien.
En dehors des artistes citées précédemment, le visiteur pourra découvrir la serbe Zora Staack (1910-2001), élève d’André Lhote et de Fernand Léger, la russe Catherine Zoubtchenko (née en 1937) dont la rencontre avec André Lanskoy en 1958 fut déterminante, la tchèque Terry Haas (née en 1923) très proche d’Anna Eva Bergman qu’elle rencontra en Norvège, la canadienne Marcelle Ferron (1924-2001) qui s’est spécialisée dans l’art du vitrail, la roumaine Natalia Dumitresco (1915-1997), lauréate du prix Kandinsky en 1955, l’américaine Anna Shanon (née en 1916) et la bulgare Jeanne Coppel (1896-1971) qui toutes deux ont consacré une partie importante de leur œuvre au découpage et au collage, Enfin, la sculpture sera représentée par la suédoise Osa Sherdin (née en 1932) et la néerlandaise Marita Poest Clement (née en 1928).
Bravo et merci à ces deux pros pour avoir redonné une visibilité à ces artistes !
(1) 11 rue BOULARD, Paris (14e). Du 14 novembre au 15 décembre 2013.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire