J'aime beaucoup le travail de Jean DEGOTTEX (1918-1988), peintre abstrait lyrique aujourd'hui un peu oublié, hélas, mais qui connut son heure de gloire dans les années soixante...
Une de ses oeuvres passera en vente prochainement (le 3 mai), chez TAJAN. Il s'agit d'Écriture noire, série rouge, une grande et belle gouache sur carton (105 x 75 cm) datant de 1963 et estimée 12.000 à 15.000 €. Une cote très raisonnable compte-tenu de sa qualité et de ce qui se fait actuellement dans les "ateliers"...
Elle est en couverture de La Gazette de l'Hôtel Drouot du 15 avril dernier.
Une analyse très intéressante y est faite, que je vous livre in extenso :
"La violence du rouge capte le regard. Une couleur impériale, symbolisant pour les Chinois la vie dans sa pulsion intime et éclatante. Des signes ondulent à la surface de la page, traduction du geste et du souffle de l'artiste. Depuis l'été 1954, Jean DEGOTTEX poursuit un travail sur le signe et le vide. Découvrant le mouvement incessant et jamais identique des vagues, il transcrit ce flux et reflux en une suite de séries qui s'étendront ensuite à l'écriture. Ce tableau fait partie de cette dernière. Sur un fond brossé d'un geste souple, le peintre trace avec le manche d'un pinceau - ou tout autre objet dur tenu à la manière orientale, entre le pouce et l'index à la verticale du support - une graphie mystérieuse...
Comme l'explique Odile MARY dans sa fiche pour Écriture 10.2.63, tableau conservé au musée national d'Art moderne, "l'amplitude du geste est repérable ainsi que la rapidité de son exécution. Les signes furtifs traversent la toile. Les pleins et les déliés de cette écriture illisible, non signifiante, sont l'enregistrement graphique d'un acte créateur".
Ce ballet calligraphique n'est pas sans évoquer l'oeuvre de Cy TWOMBLY et l'amitié de DEGOTTEX avec des compositeurs comme XENAKIS ou des chorégraphes tel Merce CUNNINGHAM. Pierre BURAGLIO note en 1990 ce lien entre la musique et sa démarche : "Un tableau de DEGOTTEX ne résulte pas d'un travail de composition laborieux mais d'une vive impulsion gestuelle fondée sur une longue méditation. Les matériaux et éléments graphiques sont sans cesse repris et retravaillés". L'artiste va aller plus loin, prenant le vide comme élément essentiel de la composition : le geste réalise une empreinte et le vide devient ouverture, révélant une symbiose d'un présent et d'un ailleurs. Tout part de l'observation de la nature que DEGOTTEX, en alchimiste, transfigure en formes ouvertes dans l'espace. Selon sa compagne, Renée BESLON, "la notion du vide, qui hante sa pensée, donne toute sa signification spirituelle à sa démarche". C'est justement cette absence de fond qui crée le mouvement, la page blanche sur laquelle il laisse les traces de pensées éphémères et cependant présentes dans un temps immuable. Les signes incarnent cet élan qui anime, tel un vent impétueux, la calme surface - dont on suit l'impulsion, le développement - et se poursuit hors champ. Selon Jean FRÉMON, biographe de l'artiste, il faut garder à l'esprit les notions essentielles de son oeuvre : "Les souffles vitaux, la prééminence du trait, le vide". Sur ces notes permanentes, Jean DEGOTTEX transcrit la propre musique de son sentiment, aussi mouvante que ces ondulations gravées dans la matière ici parée d'un rouge luminescent".
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